Il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation.
Walter Benjamin, Le livre des Passages
Arrivé il y a peu à Grenoble, ZuoHong Ning s’est mis à calligraphier des mantras sur des journaux gratuits récupérés dans la rue, à l’encre noire et de couleur, en couches superposées. Les grands rouleaux relèvent à la fois d’une tradition de l’art chinois et d’une pratique contemporaine, celle du détournement ; mais c’est aussi une manière de donner une nouvelle forme à un objet ou un moyen d’expression – autre principe cher à Marcel Duchamp.
Plus continuité que rupture. Car l’œuvre est le fruit d’une méditation. Faire totalement le geste en n’étant que lui-même, entrer dans ce chemin d’existence. Intitulés Aphasies, ces grands panneaux expriment certes la difficulté d’un homme arrivé dans un pays dont il ne peut parler la langue. Mais un dialogue apparaît dans le temps et l’espace. Il se construit par superpositions légères, retournements des signes : une culture ancestrale sur un média de l’évènementiel le plus éphémère, un artiste dans cet « être-là ». Car le journal apparaît par intermittence, il ne peut être effacé. Il est le support sur lequel prend corps la pensée d’un étranger qui contemple ce monde. Par delà la beauté de l’œuvre, le regard plonge dans ses couleurs, du vif au noir d’une nuit qui nous saisit ; des grains argentés viennent enluminer par endroits le lieu d’un espoir.
On dirait la métaphore visible d’un déplacement. Sur le site de l’artiste, une vidéo le montre s’exerçant au tai chi en traçant de ses mains notre alphabet ; à nouveau le corps met en relation un ici et un ailleurs.
Une autre série intitulée Paysages intérieurs est peinte sur d’anciens paysages chinois. A l’inverse, c’est la peinture contemporaine qui vient réécrire le paysage traditionnel. Des techniques mixtes, des touches de couleurs, entre abstraction et figuration ; comment deviner que cette étrange buée autour d’une forme est produite par du vin rouge ? Parfois la soie vient encadrer l’œuvre, tel un signe d’origine.
Par ses palimpsestes ZuoHong Ning ne cesse de créer des liens. Il s’inscrit dans l’histoire, laisse une autre trace, redonne vie et forme nouvelle à ce qui fut. Un art de la métamorphose porté par la méditation ; une mise en œuvre des contextes au cœur desquels se dessinent les empreintes de sa vie.
Au spectateur d’habiter la maison de l’artiste, internationale et profondément contingente. Il nous invite à une réflexion à tous les sens du terme : retourner en soi pour lâcher prise, ici et maintenant face à l’œuvre, tenter d’appréhender une vision, se plonger dans la beauté d’un détail. Contempler ce qui nous regarde, cet autre, ces signes, ces taches, si lointaines et si proches. Vivre en eux, se mettre dans leurs pas.
Merveille de l’art quand il devient ce qui nous relie.
Janine Lautier Desmazières
Arrived recently in Grenoble, Zuohong Ning began to draw mantras on newspapers, in black and color ink, in superimposed layers. Large rollers are both a tradition of Chinese art and a contemporary practice, that of diversion. But it is also a way of giving a new form to an object or a means of expression – another principle dear to Marcel Duchamp.
More continuity than rupture. Because the work is the result of meditation. Making the gesture complete by being only itself, entering this path of existence. Entitled Aphasie, these large panels certainly express the difficulty of a man who arrived in a country whose language he cannot speak. But a dialogue appears in time and space. It is built by light overlays, reversals of signs: an ancestral culture on a media of the most ephemeral event, an artist in this « being ». Because the newspaper appears intermittently, it cannot be erased. It is the support on which the thoughts of a stranger who contemplates this world takes shape. Beyond the beauty of the work, the gaze plunges into its colors, from the blackness of a night that seizes us; Silver grains enlighten the place of hope in places.
It looks like the visible metaphor for a displacement. On the artist’s site, a video shows him exercising in Tai Chi by tracing our alphabet with his hands. Again the body connects one here and one elsewhere.
Another series entitled Interior Landscapes is painted on ancient Chinese landscapes. Conversely, contemporary painting rewrites the traditional landscape. Mixed techniques, touches of colors, between abstraction and figuration; How to guess that this strange fog around is produced by red wine? Sometimes silk supervises the work, like a sign of origin.
Through his palimpsests Ning keeps creating links. He is part of history, leaves another trace, gives life and new form to what was. An art of metamorphosis carried by meditation. An implementation of the contexts in which the imprints of his life take place.
It is up to the spectator to live in the artist’s house, international and deeply contingent. He invites us to reflect to all the senses of the word: to go back in itself to let go, here and now in front of the work, to try to apprehend a vision, to immerse yourself in the beauty of a detail. Contemplate what concerns us, this other, these signs, these spots, so distant and so close. Live in them, put themselves in their steps.
Wonder of art when it becomes what connects us.
Janine Lautier Desmazières